Le passé du Sud revisité… - Passeggiate - Randonner hors des sentiers battus

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Le passé du Sud revisité…

Carnets de voyage
COMPTE RENDU DE LECTURE : LE PASSÉ DU SUD REVISITÉ...
 
Controstoria dell’unità d’Italia. Fatti e misfatti del Risorgimento, par Gigi di Fiore, Rizzoli, 2007, BUR 2010.
 
Gigi di Fiore, né à Naples en 1960, est journaliste et historien. De nombreux prix ont récompensé son oeuvre d’historien. On trouve plusieurs vidéos le concernant sur Internet (conférences, rencontres, discussions…).
 
Gigi di Fiore montre dans ce livre, avec force citations et d’innombrables références (sept pages de bibliographie !) témoignant du sérieux de sa recherche, comment s’est réalisée l’unité italienne dans le Sud. Celle-ci s’achève par la reddition du roi des Deux-Siciles François II (branche espagnole des Bourbons) ; puis pendant les cinq années suivantes, la répression des soldats piémontais s’exerce envers les partisans du roi, d’anciens soldats mêlés aux paysans nommés les Briganti, privés des terres promises par une réforme agraire qui ne se fera que cent ans plus tard, elle fut absolument impitoyable.
 
Depuis 1858 Cavour songe à réaliser l’unité italienne autour du Royaume de Piémont-Sardaigne. Il recherche l’appui des puissances étrangères comme la Grande-Bretagne ou la France. Il conclut en juillet 1858 des accords secrets à Plombières avec Napoléon III, l’un et l’autre disposant sans scrupule des territoires, des peuples et de leurs souverains. 
 
Il imagine ainsi écarter les souverains des duchés de Parme, de Modène et de Toscane. En échange d’une absence d’intervention française pour annexer la Lombardie-Vénétie au cours d’une guerre contre l’Autriche, il accorderait Nice et la Savoie à la France. Le projet prend forme et peu à peu les duchés sont rattachés au Piémont.
Le processus se termine par des plébiscites – en réalité complètement détournés de leur portée par des stratagèmes de toutes sortes, propagande, bulletins de vote "oui" imprimés en quantité plus grande que les "non", journaux d’opposition interdits, etc., que ce soit pour imposer le pouvoir de Victor Emmanuel II dans ces duchés ou pour céder Nice et la Savoie comme convenu. Les populations de ces territoires n’ont pas vraiment le choix… (Garibaldi votera "non" en ce qui concerne Nice, sa ville natale).
Par ailleurs les Anglais ont beaucoup d’intérêts en Italie du sud, en particulier en Sicile avec le commerce du vin à Marsala. Ils laissent donc Mazzini, républicain en exil à Londres, rassembler des fonds pour favoriser le débarquement de l’aventurier Garibaldi.
 
Le financement de l’expédition prend forme assez facilement et en abondance : non vérifié sérieusement, on ne saura jamais par la suite comment il a été utilisé et comment il a disparu… Garibaldi, sans cesse en contact avec le roi du Piémont, règle avec soin les moindres détails de l’expédition. Deux vaisseaux lui sont acquis et 1089 hommes de troupe l’accompagnent, parmi lesquels des hommes provenant de toutes les régions d’Italie : seuls quatre-vingt-onze viennent du sud.
 
Très curieusement, il débarque en avril 1860 à Marsala sans être inquiété : la flotte anglaise reste neutre, le renseigne au besoin. La flotte des Bourbons qui le guettait depuis plusieurs jours arrive après le débarquement des hommes de Garibaldi, ne tirant que quelques boulets de canon pour ne pas endommager les bâtiments vinicoles anglais appartenant à de grands propriétaires.
 
En Sicile, les habitants se montrent fatigués par le règne de douze années des Bourbons, mais ne souhaitent pas davantage l’arrivée des troupes du nord : les partisans d’une autonomie de l’île sont les plus nombreux. Garibaldi avance pourtant sans rencontrer de véritable résistance jusqu’à Naples (7 septembre 1860). Autour de lui, la troupe augmente, sans compter ceux qui par la suite se déclareront camicie rosse, parfois même sans avoir combattu, pour bénéficier de la solde des soldats…
 
Le roi de vingt-quatre ans, François II, ne règne que depuis six mois. Il s’appuie sur des militaires en fin de carrière, expérimentés certes, mais dans les faits peu efficaces : de même que la flotte n’a pas su arriver à temps malgré les avertissements, les troupes ne réagissent pas énergiquement, et pour éviter l’effusion de sang de ses sujets et les dégâts matériels dans sa ville de Naples, le roi se retire dans le Volturno, abandonnant ses biens et sa fortune sur place, avec 50000 hommes. Il résistera six mois avant de se rendre à Gaeta (autre livre de Gigi di Fiore: Gli ultimi giorni di Gaeta. L’assedio che condannò l’Italia all’unità, 2010). Puis il se réfugie dans les États pontificaux pas encore soumis au pouvoir de Turin à cette date.
 
Pendant cinq années, les troupes du nord vont se battre contre les ex-soldats bourbonnais : ceux-ci, très peu à dire vrai, sont versés dans les troupes du nord, après avoir subi une rééducation ; les autres sont maintenus exilés, prisonniers, ou enfermés dans les forteresses alpines comme celle de Fenestrelle de sinistre réputation. Les autres se mêlent aux paysans qui n’ont pas obtenu les terres promises par Garibaldi, les grands propriétaires en étant finalement les principaux bénéficiaires. C’est alors qu’en dépit des règles de la nouvelle constitution du nord, des lois établies ou de la simple humanité, une traque sans merci tente de venir à bout de nombreuses bandes armées (d’où l’origine de ceux qu’on appelle i briganti) qui sévissent au sud de Naples, en Calabre puis en Sicile avec les diverses révoltes de 1862 ou de septembre 1866. Les populations se rebellent d’autant plus qu’un nouveau système d’imposition a été établi, ce qui n’existait pas sous la domination des Bourbons. De même, la levée des jeunes recrues enrôlées dans les troupes du nord pour quatre années devient obligatoire, et la confiscation des biens de l’Église est décidée, très mal vécue, comme cela a été le cas dans le Piémont dix ans auparavant. Il faudra cinq ans pour qu’une relative situation de paix se mette en place, non sans avoir massacré de part et d’autre rebelles ou soldats. L’auteur consacre plusieurs chapitres pour montrer les innombrables exactions subies, des villages entiers incendiés comme ceux de Pontelandolfo ou de Casalduni en Campanie, mais aussi dans bien d’autres endroits du sud. Des procès innombrables se tiennent, on emprisonne, on torture, on massacre sans fin…
 
Avec le poids d’un tel passé, on comprend mieux les difficultés actuelles d’entente entre le Nord et le Sud. Qu’est devenu le trésor de guerre de Garibaldi ? Comment a été dilapidée la fortune du roi et de Naples, ville si resplendissante entre les mains des Bourbons ? Comment concevoir la pauvreté croissante de l’ex-royaume des Deux-Siciles dont au fur et à mesure les richesses sont détournées au profit du Nord ? Comment justifier l’annexion d’un état par la force et sans aucune déclaration de guerre, de même que pour les duchés auparavant ?
Gigi di Fiore fait remarquer qu’après ce coup de force pour accomplir l’unité italienne, Victor Emmanuel II n’a pas changé de nom pour signifier qu’il est devenu le premier roi d’une Italie nouvelle, et de même, après ces événements, le parlement siège pour la huitième fois, non pas la première... Après l’annexion, et en dépit de l’appellation "les brigands" qu’il s’agit d’exterminer, ce sont bien des "Italiens" qui combattent d’autres "Italiens", une culture du nord qui s’oppose à une culture du sud, des mentalités différentes qui s’affrontent et ne se comprennent pas. Enfin les deux derniers chapitres abordent le problème religieux, la lutte impitoyable pour imposer la fermeture des établissements religieux, sauf ceux qui dispensent un enseignement ou qui soignent les malades ; enfin la soumission du Pape se résignant à être "prisonnier" du Vatican, en juin 1871, alors que Rome peut enfin devenir la capitale de l’Italie après Turin puis Florence.
Ce livre de 365 pages (qu’on peut se procurer à La Tour de Babel, rue du Roi-de-Sicile ou à la Libreria), riche en analyses ou témoignages toujours accompagnés des sources les relatant, est à mon sens passionnant à découvrir et animé d’une flamme généreuse pour tenter de restituer la vérité de l’histoire. Certes, l’auteur s’engage d’un bout à l’autre, sans indulgence pour les prises de position et les actes commis par le Nord. Il me semble qu’on est obligatoirement embarqué dans cette relation historique si importante pour les Italiens, qu’il faut choisir son camp. J’entends Ugo me dire un jour, à mon grand étonnement : "L’histoire qu’on enseigne à l’école est fausse...Je vois un de nos guides un peu en retrait devant le buste de Carlo Levi à Aliano : "Tu préfères les histoires de "Brigands"?" - "Oui !", me répond-il avec un large sourire… Je me souviens de cet homme qui porte un T-shirt blanc sur lequel est imprimé Crocco (le brigand le plus connu), tout en s’affairant à traîner sur la route le tronc d’un hêtre coupé dans la forêt jusqu’à Rotonda, dan sle Pollino… J’entends braire l’âne Garibaldi de Ugo…

Suzette Richard

PS : Intéressant également, le roman de Maria Orsini Natale, Francesca e Nunziata (1996), montrant sous la forme d’une fresque historique située aux environs de Naples la transformation d’une famille de fabricants de pâtes (pastai) de 1848 à 1940. On voit, entre autres sujets abordés, comment ils ont vécu les événements du Risorgimento.



 
 
 
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