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Conseils des "nonne"

Carnets de voyage
COMPTE RENDU DE LECTURE : LES SEPT OU HUIT MORTS DE STELLA FORTUNA
 
En pleine crise sanitaire mondiale, nous avons pensé présenter un article réconfortant à propos d’un livre paru à l'automne 2020. Antonella et sa mère, la Signora Maria Volontà que vous découvrirez dans cet article, sont bien connues de nos amis de Naturaliter. Elles sont très investies dans diverses associations et surtout très actives pour faire connaître la richesse culturelle de la Calabre.

L’auteure, Juliet Grames (1) , réfléchit sur la paix et la force que lui ont insufflées les conseils pratiques de ses "nonne" italiennes. Née à Hartford dans le Connecticut, elle a grandi dans une famille italo-américaine très unie. Elle travaille depuis dix ans en tant qu’éditrice de livres pour la maison Soho Press où elle gère les publications de Soho Crime. Son livre "Les sept ou huit morts de Stella Fortuna" (2) est une grande saga familiale allant de Calabre jusqu’aux États-Unis, où il est question de solidarité féminine, de secrets, d’immigration italienne, de rêve américain… et de la lutte d’une femme pour la maîtrise de son destin. Le livre a paru en 2020, en anglais et en livre de poche aux États-Unis, puis en français et en italien.
 
Mes grands-parents sont nés dans des villages italiens où il n’y avait ni eau courante ni électricité. Il n’y avait pas de médecin, ni même de téléphone pour l’appeler en cas d’urgence. Il n’y avait pas de voitures non plus, parce qu’il n’y avait pas de routes. Pour nous, adeptes de magazines et d’achats en ligne, ce mode de vie est très similaire à la distanciation sociale que nous vivons présentement, car cuisiner, manger et se procurer de la nourriture exigeaient de mes aïeux discipline et créativité. Pour les Italiens, ce mode de vie est encore ancré dans leur mémoire, surtout du fait de l’étonnante longévité en Italie mais aussi parmi les Italo-Américains (ma grand-mère a vécu jusqu’à 98 ans, et actuellement, 4 millions d’Italiens ont 80 ans et plus, un fait d’autant plus poignant qu’ils payent le plus lourd tribut au Covid-19). Dès le début de la pandémie, mon mari et moi-même avons décidé de nous auto-confiner à domicile pour réduire les risques de contagion. J’ai passé ces dernières semaines d’isolement en pensant à ma famille et à mes amis italiens, avec l’espoir qu’ils sortiront sains et saufs de cette tempête. Comme notre monde change, et que les œufs, le lait ou la viande fraîche sont de plus en plus difficiles à trouver, je redécouvre avec joie et réconfort les conseils pratiques des aînés de la génération de mes grands-parents.
 
"N’oublie jamais l’huile d’olive", me disait toujours mon amie de 95 ans, la Signora Maria Volontà, pendant qu’elle en versait un filet dans un ragoût de fèves. Maria Volontà vient de Bova en Calabre. Je l’ai rencontrée pour la première fois lors d’un voyage de recherche pour un livre. Depuis notre premier entretien, nous sommes restées en relation. Maria m’a même proposé de devenir ma nonna italienne à titre honorifique quand elle a appris le décès de ma grand-mère. Ses leçons sont celles qui apprécient les ingrédients simples et la valeur nutritionnelle des graisses végétales. Beaucoup d’Américains ont intériorisé le dogme de "mangeurs de viande" qui prône la consommation de protéines animales pour le maintien en bonne santé, mais le fait est que l’on peut s’en passer. Les adeptes d’un régime Keto vont peut-être s’arracher les cheveux quand je dis cela. Nous ferions mieux d’écouter la Signora Maria. Elle a grandi en mangeant ce qu’elle a planté, conservé et cuisiné elle-même. Quand elle avait plus de trente ans, bien après la Deuxième Guerre mondiale, on ne mangeait pas de viande dans les villages de l’Aspromonte, sauf pour les fêtes, on ne buvait pas de lait de vache et il n’y avait pas d’argent pour acheter des produits "importés" d’autres villages. L’économie était encore féodale, le travail était rétribué en nature et non en argent. Très souvent le salaire journalier était payé en huile d’olive. La famille de Maria consommait donc les produits de son jardin et la riche huile italienne. "Que mangiez-vous en hiver ?", lui ai-je demandé. "Des lentilles, des fruits secs, des pâtes sèches, des légumes verts de montagne, et des pois chiches. Des pois chiches, j’en ai plein mon garde-manger." Qu’en faisiez-vous? "Eh bien, tu peux les mélanger aux pâtes, mais ils sont aussi très bons comme ça, tout seuls." Comme quoi le plus simple peut être délicieux, une seule chose peut suffire.
 
A l’approche de Pâques, ma grande famille italienne s’est fait à l’idée que nous ne pourrions pas nous réunir, manger des pâtes et nous embrasser, bébés compris. Je me souviens des mots d’un autre ami que j’ai rencontré, Rocco Moddafferi (85 ans), né à Casalinuovo, village maintenant abandonné de l’Aspromonte : "Les fêtes étaient vraiment des occasions spéciales quand nous étions jeunes, quelque chose à fêter. Aujourd’hui c’est plus dur de les rendre si uniques. Nous avons tout ce que nous voulons chaque jour, tout le temps. Chaque jour est une fête." Je comprends ce qu’il veut dire. J’aspire à des fêtes spéciales, mais j’ai également très envie, et pas seulement temporairement, je l’espère, de journées plus simples. Depuis les mesures de confinement et de distanciation sociale, je ressens avec plus d’acuité combien est précieuse la vie de tous les jours. Je suis fière de moi quand j’accomplis des petites tâches inventives et quand j’arrive à faire le meilleur avec ce que j’ai.
 
Mon mari et moi occupons notre confinement à nous initier aux arts et aux savoirs de nos grands et arrière-grands-parents immigrés italiens qui sont venus aux États-Unis pour nous offrir une vie meilleure. Nous avons réalisé que nous pouvions améliorer notre vie déjà riche en essayant de faire plus, comme eux.
 
Premier projet : planter le jardin dont nous rêvions depuis nos dix ans de vie commune. Dans les années 1940, quand mes grands-parents, grand-tantes et grands-oncles se marièrent et achetèrent des maisons, ils commencèrent par faire des jardins potagers, des jardins très fertiles. Ils avaient une vingtaine d’années et fondaient des familles dans un nouveau pays où ils avaient des emplois peu rémunérés tels que nettoyer les bureaux, faire les récoltes, creuser les égouts, repasser le linge dans les blanchisseries. Maintenir la tradition italienne du "jardin à la table" permettait aux familles de manger bien mieux qu’elles ne l’auraient fait avec uniquement leurs modestes revenus. Même en gagnant mieux leur vie au fil du temps, elles continuèrent à produire des tomates pour les sauces, du raisin pour le vin, des haricots et des poivrons pour les conserves.
La semaine dernière, nous avons planté des semences dans un pot que nous avons mis sur le rebord de la fenêtre. Des pousses apparaissent déjà. Pourquoi ne l’avons-nous pas fait l’année passée ? Ou même avant ? Quel savoir-faire perdu de nos aïeux italiens allons-nous essayer maintenant ? Fumer et sécher nos saucissons à la cave ? Faire nos propres couvertures et chapeaux au crochet ? Construire un four en pierre dans notre cour pour produire notre pain ? Ressortir les instruments de musique poussiéreux après le dîner au lieu de rester devant la télé ? Quelques-unes de ces idées sont plus farfelues que d’autres, mais elles sont toutes charmantes, et plus envisageables qu’il y a un mois.
Alors que nous, Américains, surfons sur nos vagues d’anxiété à l’idée de ce que ce virus réclamera à ceux que nous aimons, ainsi qu’à ceux que nous ne connaissons pas mais qui s’inquiètent tout autant que nous, j’ai retrouvé une paix et une force intérieures en pensant que nos aïeux immigrés avaient une résistance d’enfer. L’Amérique est une nation d’immigrants, et quelque part à l’intérieur de nous, nous sommes faits du même tissu, des mêmes gènes. Je suis fière de pouvoir puiser dans cette force.
(1) Juliet Grames, Parade Magazine, le 10 avril 2020 https://parade.com/1022829/parade/italian-nonnas-quarantine-advice/
(2) Juliet Grames : Les sept ou huit morts de Stella Fortuna, version française parue le 1er octobre 2020 aux Presses de la Cité



 
 
 
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